La porosité entre le monde de l’art et les marques n’est pas nouvelle. Pour preuve, dès les années 60, Andy Warhol duplique ses peintures jusqu’à épuisement, présentant l’art comme une production de masse. Cinquante ans plus tard, Campbell est devenue une marque iconique du Pop Art valorisant son image bien au-delà de son produit.
De Guerlain en passant par Perrier, Hennessy ou Monoprix, on ne compte plus ces dernières années les marques qui s’associent aux artistes urbains pour proposer des « collections » en série limitée dont les « pièces » sont assimilées à des œuvres et vendues au prix d’un produit de consommation courante.
Effet de mode ou opportunité ? Si les marques ont sans nul doute intérêt à surfer sur la tendance, il semblerait pourtant que les street artistes aient plus encore à leur apprendre en matière de communication et de notoriété.
Si le rapprochement artistes / marques est possible, c’est qu’il s’inscrit dans un rapport « gagnant-gagnant ». Les premiers s’offrent une vitrine, et s’assurent d’un financement. Les secondes y trouvent une manière de communiquer bien ancrée dans la modernité.
L’art est créateur de sens et, de ce fait, permet de conférer prestige et dimension symbolique à quiconque s’entoure de son aura.
Dans le cas du street art, ce type d’associations fait l’objet de relations complexes.
Les artistes urbains ont été dotés, dès le berceau, de nombreux dons de communication. En faisant de la rue leur espace d’exposition, ils ont inventé le street marketing. En cultivant leur appartenance à un groupe, un crew, ils ont créé des communautés réelles qui portent et partagent leurs valeurs. En multipliant leurs œuvres dans la rue, ils ont employé à leur compte les codes de la communication de masse. Autant de compétences dont les marques, quel que soit leur secteur d’activité, raffolent !
Leurs techniques de communication sont si puissantes qu’elles ont réussi à modifier jusqu’au regard que la société porte sur leur pratique. A la manière des lobbyistes, les artistes urbains ont su irriguer leur mouvement dans toutes les strates de la société, faisant évoluer leur culture d’une pratique purement hors-la-loi à un mouvement artistique majeur.
Les bases sont posées. L’apparition des réseaux sociaux parachève le système en fournissant l’outil de diffusion dont les artistes ont besoin pour étendre leur notoriété. Fins communicants, ils utilisent les réseaux sociaux mieux que les marques.
Leurs œuvres sont accessibles sur toute la planète, en temps réel, de manière totalement gratuite : publication d’images, applications de géolocalisation des murs peints à travers le monde, organisation et médiatisation d’événements… leur ont permis de développer leurs communautés de manière exponentielle. Plus d’un million de followers sur Instagram pour les célèbres jumeaux brésiliens Os Gemeos , 1,1 million d’abonnés sur Facebook pour Obey Giant, les street artistes fédèrent des communautés aussi importantes que les stars de cinéma.
Influenceurs matures sur la toile, leur nombre d’abonnés démontre leur capacité à créer des communautés autour de valeurs qui ont participé à l’édification et à la reconnaissance de l’art urbain.
La liberté d’expression, la transgression, l’énergie de la jeunesse, les dimensions compétitives et identitaires sont les moteurs puissants d’une pratique qui s’est progressivement érigée en mouvement artistique populaire.
Le passage de la rue à la galerie a déjà, dans une certaine mesure, brouillé le message, privilégiant le style au détriment de la démarche. Attention ainsi à ce que les marques ne transforment pas aujourd’hui les rebelles d’hier en de simples agents marketing.
C’est en gardant à l’esprit les valeurs fondatrices des cultures urbaines que les marques, comme les artistes, construiront ensemble des collaborations réellement pertinentes, réciproquement fructueuses et pérennes.